Appareil ()

Sur les intermédia

  • Dick Higgins

DOI
https://doi.org/10.4000/appareil.2379
Journal volume & issue
Vol. 18

Abstract

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I. Dans “Intermedia”, Higgins introduit deux substantifs : intermedium et son pluriel intermedia. L'auteur commence par noter les changements sociaux frappant son époque, qui passe d’une société divisée, de castes, à une société égalitaire sans classe. À son sens, l'irruption, dans la sphère de l'art, d’œuvres inclassables, venant se loger entre les médiums établis, participe du même esprit. Il appelle ces œuvres hybrides des « intermédia ». Elles peuvent être à la croisée de différents médiums artistiques, ou même au croisement des médiums artistiques et de nos média mondains. Elles constituent à ses yeux ce que l'art de son époque produit de plus intéressant.Ainsi, en peinture. Quoi qu'en disent leurs thuriféraires, le pop'art ou l’expressionnisme abstrait, parce qu'ils conservent la vieille logique de séparation des médiums, ne sont plus pertinents. Higgins leur préférera Fluxus, le collage, les combine paintings de Rauschenberg, ou les happenings de Kaprow (Duchamp est à cet égard précurseur).Dans le domaine de la scène, Higgins ne perçoit de réelles nouveautés grosses d'avenir que dans les inventions tournant autour des happenings et de la participation du public.Selon lui, l'intermédium ne révèle pas un mouvement artistique, datable, mais une tendance majeure et constante de l'art, qui se manifeste dans les années 1950-1960 avec une acuité sans pareille.II. On trouve dans “Statement on intermedia” l'adjectif intermedial. Higgins tient, dans ce texte, un discours politiquement engagé. Constatant les enjeux politiques nouveaux de son temps, il voit dans l'utilisation de l'art, et singulièrement des intermédia, le moyen pour les artistes de participer à une lutte politique. L'intermédium est alors la seule façon de renouer directement avec la vie, de faire vaciller les anciennes catégories, et de produire un art engagé. « Telle est l'approche intermédiale : elle souligne la dialectique entre les médiums ». Le défi alors se dédouble : pour l’œuvre, la question ne concerne plus sa forme, mais son discours ; pour l'artiste, l'objectif n'est plus l'exploration de sa technique, mais l'usage politique de son art.III. Le substantif intermediality apparaît dans “Synesthesia and Intersenses: Intermedia”. Quinze ans après l'écriture de l'essai introduisant le terme « intermédium », le théoricien revient sur cette notion et le contexte de son apparition. Il s'agissait alors pour lui de forger un concept utile à l'amateur pour comprendre et apprécier son art d'avant-garde, un art nécessaire à toute la sphère de l'art. Présenté dans sa revue Something Else Press, le terme « intermédium » se répandit et même échappa en partie à son créateur. Higgins précise en quoi il continue de distinguer les intermedia des mixed media : ceux-ci agencent des médiums côte à côte quand ceux-là les fusionnent. Autre précision importante : le terme d'intermédium n'est pas prescriptif, mais descriptif. Higgins avoue ici l'évolution de sa pensée, en ramenant à sa juste valeur la notion qu'il proposa : elle est pertinente pour décrire et entrer dans un certain type d’œuvres, elle n'est pas valable pour juger de la qualité intrinsèque d'une œuvre. Enfin, l'auteur insiste sur le caractère non historique de l'art intermédial, qui est en fait un mouvement présent dans l'art de toutes les époques (« l'intermédialité a toujours été une possibilité ») et dont les œuvres perdent leur caractère d'avant-garde avec le temps.La notion d'intermédialité doit donc être utilisée puis délaissée, et non pas respectée comme un dogme. Elle court dans l’histoire de l'art et parmi de nombreux arts, si différents se pensent-ils. Elle ne peut garder sa vitalité qu'en refusant de devenir un nouvel académisme. L'art, quel qu'il soit, doit d'abord et avant tout ouvrir de nouveaux horizons à son public.

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