Revue de Primatologie (Jan 2016)

Etude du suivi du regard chez le babouin (Papio anubis) : Mesure des effets d’un changement d’orientation de la tête d’un expérimentateur sur le comportement des babouins

  • Carole Parron,
  • Thérèse Bonnefon,
  • Adrien Meguerditchian

DOI
https://doi.org/10.4000/primatologie.2341
Journal volume & issue
Vol. 6

Abstract

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Chez l’enfant, de nombreuses études ont montré que l’émergence de la capacité à utiliser la direction du regard d’autrui pour diriger son attention vers un objet externe, aussi appelée attention conjointe, est considérée comme un précurseur du langage humain. Bien que des études réalisées sur une variété de primates non-humains soulignent qu’ils sont aussi capables de suivre la direction du regard de conspécifiques pour diriger leur attention vers une cible, la question reste encore très débattue, notamment en ce qui concerne la nature des indices utilisés (direction du regard et/ou de la tête). L’expérience que nous avons menée avait pour objectif de tester deux questions : les primates non-humains sont-ils en mesure de mettre en place une attention conjointe lorsque l’individu avec lequel ils interagissent n’est pas un conspécifique ? Et peuvent-ils utiliser l’orientation de la tête de ce dernier (et non pas le seul regard) pour diriger leur attention vers ladite cible ? Pour cela, nous avons mesuré l’effet des changements de l’orientation de la tête d’un expérimentateur humain sur le comportement (mouvement de la tête et déplacement dans l’espace) de 31 babouins Olive (Papio anubis). Suite à une condition basale (l’expérimentateur avec tête en position neutre), une phase de test constituée de quatre conditions (tête vers le haut au centre, vers le haut à droite, vers le haut à gauche ou vers le bas) était réalisée de manière aléatoire sur les 12 enclos concernés. Cette première série d’expériences était renouvelée une deuxième fois après une semaine de délai. Pour analyser la réponse comportementale des babouins, nous avons virtuellement découpé la loge dans la longueur en deux parties égales : la partie haute et la partie basse. Pour la première série de tests, les résultats montrent que les singes suivent de manière congruente la direction de la tête de l’expérimentateur lors du changement d’orientation « tête basse » vers « tête haute » en se déplaçant vers la partie haute de la loge, et demeurent dans la partie basse pour la condition « tête vers le bas ». Des analyses supplémentaires montrent que cet effet concerne très majoritairement les singes juvéniles, les adultes ne se déplaçant que très rarement en réaction au changement d’orientation de la tête de l’expérimentateur. De plus, l’analyse de l’orientation de la tête des singes lorsqu’ils sont exposés pour la toute première fois à un changement de direction de la tête de l’expérimentateur vers le haut, montre que 100 % des juvéniles regardent vers le haut, contre seulement 50 % des adultes. L’ensemble de ces effets disparaît lors de la deuxième série d’expérimentations. Nos résultats nous permettent de conclure que les babouins sont capables de suivre l’orientation de la tête d’un individu autre qu’un conspécifique, en l’occurrence l’homme, pour diriger leur comportement. Notre approche s’est révélée intéressante puisqu’elle a permis de capturer un comportement spontané, non-conditionné, chez les individus juvéniles. Ils se sont montrés capables non seulement de suivre du regard la direction indiquée par la tête de l’expérimentateur, mais ils ont aussi adapté leur position dans l’espace pour rester en contact avec le regard de l’expérimentateur, et donc en mesure de traiter l’information potentielle. Cependant ces réponses s’éteignent très rapidement au fil des répétitions. Ce phénomène d’habituation semble lié à l’absence de bénéfice direct à traiter l’information transmise par l’expérimentateur. Bien qu’il soit prématuré de conclure à partir de nos résultats à une véritable capacité d’attention conjointe, nos données montrent que l’absence de ce comportement chez les babouins adultes, dans ces conditions particulières de test, ne signifie pas qu’ils en sont incapables, en témoigne le comportement des juvéniles. Ce paradoxe démontre une fois de plus en quoi l’élaboration d’un paradigme visant à tester l’attention conjointe chez les primates non-humains reste une gageure.Nous tenons à remercier la Sation de primatologie de Rousset, CNRS, sans laquelle toute expérimentation avec les babouins aurait été impossible. Financements : ANR-12-PDOC-0014-01 (LangPrimate Project, P.I. Adrien Meguerditchian).

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