SHS Web of Conferences (Jul 2014)
Catégorisations et représentations sociolinguistiques : les variétés stylistiques existent-elles ?
Abstract
La perception du style et les fonctionnements cognitifs de catégorisation qui permettent au locuteur de classer les énoncés qu’il entend en différentes variétés discrètes (par exemple, styles « soutenu », « courant », « familier ») ont fait l’objet de peu de recherches (Eckert & Rickford, 2001 ; Coupland, 2007 ; Gadet, 2007), sans doute notamment du fait de l’émergence encore très récente de la dimension cognitive dans le champ de la sociolinguistique (Campbell-Kibler, 2010 ; Loudermilk, 2013 ; Chevrot & Foulkes, 2013). Cette perspective ouvre pourtant des possibilités nouvelles pour comprendre l’interaction entre les phénomènes de catégorisation et les aspects sociaux et culturels, une problématique cruciale (Lahire & Rosental, 2008), que nous traitons ici en mobilisant la sociolinguistique et la psychologie sociale. En outre, cette problématique interroge, avec une focale et des méthodes nouvelles, des questions récurrentes en sociolinguistique concernant la cohérence du style, les stéréotypes et la saillance des traits linguistiques en réception des messages. Selon une première étude exploratoire, la perception du style serait un processus en hélice s’alimentant des modalités perceptives descendantes (stéréotype) et ascendantes (saillance) ; le récepteur s’appuierait sur un ou plusieurs éléments stylistiquement saillants de l’énoncé pour activer une catégorie globale/un stéréotype (ex : langage « soutenu », langage « familier »). Cette activation du stéréotype a été mise en évidence grâce à un phénomène que nous avons nommé restauration stylistique (RS) : nous avons en effet observé, de manière incidente, que, quand le sujet répète un énoncé, il ajoute des éléments absents de l’input qu’il vient d’entendre mais cohérents avec le schéma/stéréotype qu’il a en mémoire. L’existence de ce processus de RS, central dans la mise en évidence des liens entre saillance et stéréotype, permettrait de confirmer l’existence de catégorisations cognitives du style en variétés dénombrables et discrètes, pouvant expliquer la difficulté des locuteurs à concevoir l’hétérogénéité des registres. Alors que les linguistes déconstruisent la notion de style en constatant son caractère non homogène, non fini et non dénombrable et proposent de le concevoir sous forme de continuum multidimensionnel (Gadet, 2007), les représentations des locuteurs – contrairement à leurs productions effectives – pourraient s’organiser en catégories. La mise en évidence de ce hiatus entre les productions linguistiques et les représentations de ces productions est intéressante pour clarifier la compréhension du lien entre émission et réception des messages. La validation expérimentale du modèle pourrait notamment expliquer les effets de « gommage » (erasure, cf. Irvine, 2001) dans la réception des énoncés : si le ou les traits dissonants dans le message ne sont pas suffisamment saillants, ils ne sont pas repérés ni pris en compte dans le processus de catégorisation. Nous avons donc cherché à mettre en évidence l’existence de ce phénomène de manière plus systématique, auprès de locuteurs adultes natifs du français.