Conserveries Mémorielles (Oct 2006)
Passé traumatique, mémoire, histoire confisquée et identité volée : la déportation des tatars de Crimée par Staline en mai 1944 (le « Surgûn »)
Abstract
Vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le régime communiste dirigé par Staline a déporté de nombreuses populations non slaves de la péninsule de Crimée et du Caucase : Tatars, Grecs, Arméniens, Tchétchènes, etc. Le motif invoqué était la collaboration de certains éléments de ces ethnies avec l’occupant nazi durant la guerre. Parmi ceux-ci, les Tatars criméens, une population musulmane qui habitait la péninsule depuis des siècles, a souffert un nombre élevé de décès durant la déportation, notamment dans les colonies de travail de l’Ouzbékistan et de Sibérie. La dimension tragique de cet acte est impressionnante et les conséquences se reflètent aujourd’hui, après 60 ans, sur les survivants de l’ethnie tatare et leurs familles, tant au niveau de la conscience individuelle que de la conscience collective. Porteurs depuis des décennies d’une mémoire considérée par le régime soviétique comme « subversive », ayant le stigmate péjoratif de « traître », dépouillés de leurs biens et, encore plus important, de leur identité ethnique, les Tatars criméens ont beaucoup de difficultés à se réintégrer dans l’Ukraine actuelle, après leur retour dans leur patrie. Dans ce cas, la mémoire des survivants a un rôle à la fois pédagogique et de liant dans la démarche de reconstruction de leur identité brisée. Ce processus de reconstruction identitaire a lieu aujourd’hui dans un contexte conflictuel créé par les avatars de l’histoire et les fréquentes mutations de peuples, qui ont modifié la configuration ethnique de la péninsule de Crimée.