SHS Web of Conferences (Jan 2016)

La quête du vernaculaire dans l’étude de la variation grammaticale

  • Coveney Aidan

DOI
https://doi.org/10.1051/shsconf/20162701003
Journal volume & issue
Vol. 27
p. 01003

Abstract

Read online

La sociolinguistique variationniste accorde une place privilégiée au style vernaculaire, défini comme le style où l’on accorde le minimum d’attention à la surveillance de son propre discours : d’abord parce que c’est la variété la plus régulière et systématique, n’étant pas susceptible à l’hypercorrection trouvée dans des styles plus formels ; et ensuite puisque c’est dans le style vernaculaire qu’apparaissent pour la première fois de nombreuses innovations linguistiques, et que ce style donne ainsi l’indication la plus fiable de l’état actuel de la langue, dans des perspectives historique et typologique. Lorsqu’on compare deux échantillons de discours non vernaculaire, il faut envisager la possibilité que les deux groupes de locuteurs aient parlé dans deux styles différents, plus ou moins distants du vernaculaire. Alors que le tutoiement n’entraine pas nécessairement l’utilisation du style vernaculaire (l’emploi par un individu de son niveau maximal des variantes informelles à sa disposition), il semble bien être une condition nécessaire pour l’émergence de ce style. Nous émettons donc l’hypothèse que le vernaculaire est pragmatiquement incongru (et inexistant) aux côtés du vouvoiement dans le même discours. Or, dans plusieurs corpus d’entretiens sociolinguistiques, le vouvoiement est majoritaire, voire systématique, et la prudence est donc de mise lorsqu’il s’agit de comparer la variation dans ces corpus. D’ailleurs la dynamique interpersonnelle de l’entretien influe directement sur l’usage de certains domaines grammaticaux, comme les pronoms personnels indéfinis et les structures syntaxiques associées aux actes de parole directifs et expressifs, notamment les interrogatives directes et les phrases négatives emphatiques. Finalement nous proposons un « paradoxe variationniste » (en parallèle avec le célèbre « paradoxe de l’observateur ») : dans la plupart des recherches variationnistes, l’objectif idéal est d’enregistrer, en un temps limité, une quantité importante de discours en style vernaculaire chez des locuteurs représentatifs de la communauté linguistique. Le contexte le plus pratique pour obtenir ces données auprès d’un tel échantillon de locuteurs est l’entretien sociolinguistique, qui, par définition, implique deux inconnus et qui, par conséquent, exclut le style vernaculaire. Ce paradoxe peut être résolu grâce à l’auto-enregistrement ou aux conversations de groupes de pairs.