SHS Web of Conferences (Jul 2012)
Linguistique textuelle et diachronie
Abstract
On s'interrogera, dans cet exposé, sur les conditions nécessaires, tant au plan théorique qu'au plan méthodologique, pour que la prise en compte de la dimension diachronique par la linguistique textuelle puisse constituer une discipline dotée de ses notions et de ses problématiques propres, de la même façon que la spécificité de l'approche diachronique sait être reconnue lorsqu'il s'agit de phonétique, de morphosyntaxe ou de sémantique. Si bon nombre d'études existent déjà dans certains sous-domaines (on peut par exemple évoquer le discours rapporté, le fonctionnement des expressions anaphoriques ou le rôle des temps verbaux), on soulignera le fait que, dans la plupart des cas, les phénomènes ne sont pas vraiment étudiés dans une perspective de linguistique textuelle. Il suffirait de citer les travaux, relativement nombreux, sur la pragmaticalisation, sur l'évolution des modalisateurs, des marqueurs de topicalisation, par exemple, qui constituent en fait des applications de la théorie de la grammaticalisation, des illustrations d'opérations comme la réanalyse et l'analogie. Tout se passe comme si les faits de linguistique textuelle étaient utilisés dans une autre optique, comme si la dimension diachronique conduisait à donner la priorité à l'étude des mécanismes du changement. Notre objectif sera d'insister ici sur quelques problématiques transversales, qu'une approche souvent trop restreinte a quelque peu occultées et qui demeurent implicites, mais qu'il conviendrait de prendre en compte si on a pour objectif la construction d'une discipline bien identifiée. Il est vrai qu'indépendamment de la question de la diachronie, la linguistique textuelle présente de nombreuses facettes ; cela ne nous semble cependant pas empêcher la reconnaissance de problèmes généraux, qui se posent quelles que soient les approches adoptées. A- Les questions transversales : a- La linguistique du texte, conçue comme une étude du système de la langue prenant en compte la dimension discursive, repose fondamentalement sur la notion de "codage" : elle s'appuie obligatoirement sur l'observation des relations qui s'établissent entre les marques fournies par le système linguistique et les catégories textuelles. Si les diverses parties du système sont en constant changement, les "notions" textuelles le sont aussi. Quels rapports faut-il alors établir entre ces deux évolutions ? Peut-on raisonner en termes de causes et d'effets ? b- La linguistique du texte, quel que soit le type d'approche, semble devoir nécessairement prendre en compte la dimension cognitive, dans la mesure où la question des activités de production et de réception des textes joue un rôle fondamental. Comment peut-on aborder, en diachronie, cet aspect de l'analyse ? La notion de cohérence joue le même rôle, toutes proportions gardées, que celle de grammaticalité en syntaxe, tout en n'étant évidemment pas de même nature. Cette question présente des difficultés quasiment insurmontables lorsque l'on travaille en diachronie. On essayera toutefois de signaler quelques pistes qui pourraient permettre des avancées, en particulier sur les modes de lecture, sur l'évolution de la notion de texte et de celle de textualité. B- Dans cette optique générale, seront développés quelques points particuliers, qui se recoupent plus ou moins. a-La question des unités pertinentes (proposition, phrase, période, clause, ...) et des "paliers de traitement" des diverses opérations qui assurent la cohérence du texte, question étroitement liée à celle de la portée ; b-La typologie des textes : elle ne peut être conçue comme un cadre fixe qui s'appliquerait aux textes de toutes les époques. Comment prendre en compte l'évolution des conceptions de la textualité en ce domaine ? On illustrera ce point par l'exemple de l'émergence, en moyen français, du texte descriptif, émergence qui peut être mise en rapport avec l'évolution des marques linguistiques permettant l'autonomie progressive de ce type de texte ; c-Cette évolution de la conception de la cohérence et de la textualité trouve son application dans des domaines particuliers. Nous citerons trois types d'exemples : -le traitement des référents, avec la façon dont s'effectuent des opérations comme l'introduction d'un référent nouveau ou la redénomination d'un référent qui doit être réactivé ; -l'évolution de la perspective fonctionnelle de la phrase, et, en particulier, le passage, de l'ancien français au moyen français, d'une conception qui donne la priorité à l'identification du thème à un codage qui prend en compte les divers degrés du dynamisme communicatif ; -l'évolution de notions comme l'opposition des plans ou la distinction récit / discours. Nous insisterons, en conclusion, sur l'importance de ces problématiques pour d'autres domaines de la linguistique diachronique ; nous pensons par exemple, aux diverses approches du changement et, en particulier à celles qui s'appuient sur le concept de grammaticalisation, sur la notion de réanalyse : suffit-il de montrer l'importance du contexte, sur laquelle tout le monde s'accorde ? Ou encore de mettre en relation divers niveaux d'analyse ? Le niveau textuel est évidemment fondamental, mais quel rôle joue-t-il et quel est son fonctionnement à telle ou telle époque ? Comment prendre en compte la relativisation nécessaire que nous avons essayé de décrire ?