Balisages (Nov 2021)
Entretien
Abstract
Pour Dominique Boullier, mieux que d’autres notion telles que « milieu », « monde » ou « espace », la notion de « territoire » est pertinente parce qu’elle permet d’intégrer « les deux faces de l’expérience spatiale qui comporte un mouvement d’appropriation ». Elle permet alors de déployer une anthropologie de l’appropriation qui regarde Internet non comme un habit, un habité, un habitat ou un habitacle, mais comme tout cela à la fois, condensé dans la notion d’« habitèle ». Cette approche théorique est déterminante dans le regard critique que Dominique Boullier porte ici sur les transformations qu’a connu Internet ces 10 dernières années : en poussant à l’extrême l’analyse proposée par celui-ci on peut dire que les enjeux de ce territoire numérique, de cet habitèle, en ont oublié l’habitant lui-même. Il est question de montée en puissance des plateformes, de « disparition de l’internet en tant qu’espace mondial », d’enjeux économiques des métriques d’audience devenues métriques d’activités, d’impact de la monétisation des engagements sur la création de monopoles, de polarisation… Les luttes dont Internet est l’objet portent en effet moins vers la conquête d’un « bien commun » comme d’exigences de transparence qui permettent à tous d’apprendre, que vers un rééquilibrage des seules mannes financières dont il est porteur : « Toute la décennie 2010 a été celle du Far-West, de la prédation de traces, de la fraude fiscale, des achats des concurrents sans limites, des abus de positions dominantes, et de l’augmentation de l’opacité des algorithmes et de leur puissance prédictive supposée grâce au Machine Learning ».