Belas Infiéis (Oct 2014)
ARISTOTELES MULTIPLEX : LES NOUVELLES NOCES DE PHILOLOGIE ET DE MERCURE. DE LA TRADUCTION COMME QUÊTE DE L’EDITIO PRINCEPS
Abstract
Cette étude part d’un fait trop négligé : les corpus d’auteurs comme Platon et Aristote ne connaissent leur editio princeps qu’au terme d’un long processus de recouvrement, de transmission, de collation philologique, de restitution et de traduction, contrairement à la majorité des oeuvres où elle coïncide avec la première édition. Référer à l’authorship, au statut d’auctor, c’est aussi considérer l’auctoritas. Pour ce faire, nous allons examiner les vagues de traduction du corpus aristotélicien à la Renaissance, aussi bien à Florence qu’à Padoue, fief des aristotéliciens radicaux, aux vues teintées d’averroïsme. Un champ de bataille se dessine alors entre les tenants de l’oratio, nourrissant un souci d’élégance et d’acuité dans le style inspiré de Cicéron, et les zélateurs du latin de la scolastique médiévale, la logica vetus, affligée par une langue plutôt laborieuse. Une attention particulière est portée aux travaux de traduction et aux prises de position de Leonardo Bruni et de Lorenzo Valla, chauds partisans de l’oratio. Nous inscrivons leur démarche dans une tradition de pensée qui prend son essor chez Cicéron et Quintilien et qui, par le relais du De vulgari eloquentia de Dante Alighieri, va s’épanouir dans la rhétorique des baroques espagnols, dont Baltasar Graciàn, pour ensuite être défendue avec force chez Giambattista Vico à l’encontre du rationalisme cartésien, pour trouver enfin une niche de prédilection dans la théorie critique des Romantiques d’Iéna, non moins que chez Walter Benjamin, qui en est un épigone. Nous en concluons que l’histoire des idées aussi bien que celle des diverses conceptions des usages de la langue sont aussi une histoire de (la) traduction.