Déméter (May 2024)

« Félicité rustique » ? L’imaginaire euphorique dans Gemma Bovery de Posy Simmonds

  • Florence Godeau

DOI
https://doi.org/10.54563/demeter.1436
Journal volume & issue
no. 11 | Hiver

Abstract

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L’idée du « Bonheur », sous les formes stéréotypées du couple parfait ou de la famille nucléaire vivant heureuse dans une prairie fleurie, s’est diffusée au xxe siècle par le biais d’un fructueux commerce d’images et d’objets rendus désirables par l’image publicitaire ou les magazines féminins — médias relayés, au xxie siècle, par les comptes Instagram ou Facebook où s’étalent à l’envi maints clichés (au sens photographique comme au sens figuré) censés prouver et fixer dans une certitude pérenne un parfait « bonheur » conjugal, familial, parental, voire professionnel. Le présent article compare Madame Bovary de Gustave Flaubert et le roman graphique de Posy Simmonds, Gemma Bovery (qui fut initialement diffusé dans The Guardian, de 1997 à 1999, avant d’être publié en album par Jonathan Cape puis traduit en français en 2000, chez Denoël) sous l’angle spécifique des représentations textuelles et/ou visuelles qui traduisent à la fois la sensibilité exaltée des héroïnes et leur asservissement aux stéréotypes. La libre transposition de Posy Simmonds, par le biais d’un personnage féminin contemporain, esclave de représentations préfabriquées du « bonheur », de l’« amour » ou du « chic », permet de poser la question de la subjectivation du cliché en même temps que celle du medium. L’iconotexte de Posy Simmonds poursuit en effet, en termes nouveaux, l’ironie propre à Flaubert, celle notamment qui innerve les passages descriptifs et mine les rêveries d’Emma — comme montage de clichés culturels déclinés sur le mode de l’accumulation hétéroclite et de la surcharge esthétique. De manière différente, mais en vertu d’une intention critique analogue, les dessins et le texte de Simmonds (par exemple, le choix du noir et blanc, le cadrage, le graphisme, la juxtaposition cocasse et contrastive des vignettes, la place dévolue au texte) mettent en exergue des points de vue disparates et soulignent le hiatus croissant entre l’imagination de Gemma et sa vie quotidienne. La lecture ironiste suscitée par l’imagerie factice qui fait écran entre les protagonistes et le monde permet in fine d’interroger l’idée éminemment genrée, datée et discutable d’un « bonheur » au féminin nécessairement corrélé à un idéal amoureux.