Textes & Contextes (Dec 2022)
La couleur comme « sexe féminin de l'art » : simple métaphore ou véritable paradigme ?
Abstract
Cet article part du constat que, dans la première moitié du XIXe siècle, le critique d’art Ch. Blanc associe curieusement la couleur en peinture au « sexe féminin de l’art » alors que, deux décennies plus tôt, le chimiste E. Chevreul élabore ses fameuses lois des contrastes chromatiques qui fonderont l’usage de la couleur dans nos sociétés. Or, à bien y regarder, cette concomitance n’est pas fortuite mais peut être lue comme le symptôme du bouleversement profond qui affecte à l’époque la compréhension de la perception visuelle : la science ne commence-t-elle pas, et toujours en ce même début de siècle, à dévoiler toute la complexité cellulaire et nerveuse de la rétine ? La perception de la couleur résultera ainsi d’innombrables processus micro-organiques, des processus de type physiques, charnels. A contrario, une série d’exemples tirée de la pensée ancienne sur la couleur montre que l’évocation de sa perception servait jadis de tout autres buts et notamment à réfléchir sur l’usage convenable des cinq sens. S’agissant de la vision, cette éthique traditionnelle du regard - idéalement régie par la « raison » - sera donc remplacée à l’époque de Blanc et Chevreul par à ce que l’on propose de nommer une éthique de l’œil, une éthique déterminée à présent par les « bonnes » réactions organiques de la rétine. Rien d’étonnant si « dominer » la couleur en peinture équivaudra maintenant, et comme le laissera entendre Blanc, à une sorte de conquête masculine du fait chromatique, incidemment féminisé et érotisé : une conquête non seulement parce que la perception de la couleur requerra un important effort physiologique de la part du regardeur, mais surtout parce qu’aux dires mêmes de renommés peintres (masculins) contemporains elle ne trouverait son achèvement que dans une forme de jouissance (visuelle), quasiment celle dont parleront alors … les sexologues.