SHS Web of Conferences (Jul 2014)

L’évolution en français de il m’est avis que / ce m’est avis : médiativité, perception, inférence*

  • Rodriguez Somolinos Amalia

DOI
https://doi.org/10.1051/shsconf/20140801041
Journal volume & issue
Vol. 8
pp. 341 – 352

Abstract

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Nous étudions ici l’évolution en français du marqueur évidentiel il m’est avis que/ ce m’est avis. En français médiéval, la locution verbale estre avis, classée généralement avec les verbes d’opinion, présente une double construction. Dans il/ce m’est/ert/fu avis que p, elle régit une proposition subordonnée complétive introduite par que. Elle peut apparaître par ailleurs en construction incise: ce m’est avis/ si me fu avis/ si come lors m’ert avis. Les constructions il m’est avis que p / ce m’est avis sont des modalités épistémiques exprimant la croyance du locuteur en la vérité d’une assertion. Elles ont aussi bien une valeur médiative qu’une valeur modale. En français médiéval, il m’est avis que p et l’incise ce m’est avis sont très proches sémantiquement. Etymologiquement, elles sont en rapport avec la perception visuelle et se combinent fréquemment avec des verbes de perception (veoir, esgarder). Il m’est avis que/ ce m’est avis peut renvoyer à du contrefactuel, c’est-à-dire à une vision, un songe, à une perception directe ou présente dans la mémoire ou dans l’imagination du locuteur. Les constructions Il m’est avis que p/ ce m’est avis présentent également des emplois inférentiels. L’inférence peut être basée sur une perception immédiate, le plus souvent visuelle. Le locuteur peut baser également son jugement personnel sur des indices à partir desquels il conclut. Le plus souvent il m’est avis que exprime une opinion, un jugement de valeur. Il est le résultat d’une réflexion, il réalise une évaluation qui est le fait du locuteur. Les valeurs sémantiques médiévales se conservent en français préclassique (1500-1650), où il m’est avis que, exprimant toujours un jugement personnel, conserve un lien avec la perception visuelle, ainsi qu’avec l’irréel, le songe, l’imagination. La structure parenthétique ce m’est avis/ m’est avis devient de moins en moins fréquente et finira par disparaître dans la première moitié du XIXe siècle. En français classique (1650-1789) il m’est avis que commence un processus de figement et s’emploie uniquement au présent de l’indicatif. Il n’y a plus de rapport avec la perception visuelle, le sens étant « je pense, il me semble, j’ai l’impression que ». Il m’est avis que passe dans la langue populaire ou régionale et voit sa fréquence diminuer. Au XIXe siècle, la structure se fige sous une forme m’est avis que qui appartient à la langue familière. En usage à l’oral jusque dans les années 1950, m’est avis que est aujourd’hui inusité en français.