Oléagineux, Corps gras, Lipides (Sep 2003)
Alimentation animale et valeur nutritionnelle induite sur les produits dérivés consommés par l’homme : Les lipides sont-ils principalement concernés ?
Abstract
Dans quelle mesure la nourriture reçue par les animaux induit-elle une modification (amélioration ou au contraire dégradation) de la valeur nutritionnelle des aliments qui en sont issus pour la nourriture de l’homme ? La réponse à cette question varie selon la nature des nutriments (vitamines, minéraux, acides gras poly-insaturés indispensables des graisses, acides aminés indispensables des protéines), et aussi de l’espèce considérée. Le problème est de rechercher l’impact réel des formulations des rations utilisées dans les élevages sur la valeur nutritionnelle des produits (viandes, lait et laitages, fromages et œufs, etc.), et donc leur influence sur la santé du consommateur, évidemment dans un sens favorable. Les acides gras poly-insaturés oméga-3 (ω3) bénéficient de deux grands axes de valorisation. Le premier réside dans leur importance quantitative et leurs rôles dans le cadre de la mise en place et du maintien de divers organes, le cerveau au premier chef. Le second se trouve dans la prévention de diverses pathologies, les maladies cardio-vasculaires occupant une place prépondérante \; avec, depuis peu, les maladies neuro-psychiatriques, stress, dépression et démence. Compte tenu des implications en termes de maladies, cardio-cérébro-vasculaires entre autres, le contrôle de la nature des acides gras constitutifs des graisses représente donc un enjeu considérable en ce qui concerne les viandes issues d’animaux terrestres, maritimes et aériens, du lait, des laitages, fromages et des œufs. Car la qualité des graisses données en nourriture animale détermine fondamentalement la valeur nutritionnelle des aliments qui en sont dérivés, pour la consommation humaine. Bien évidemment, il est relativement difficile de modifier la composition en acides gras des phospholipides constitutifs des membranes biologiques intégrées dans la multitude de types cellulaires, dont la spécificité est largement sous contrôle génétique. En revanche, la nature des acides gras des triglycérides de réserve (trouvés en quantité plus ou moins importante selon les localisations anatomiques c’est-à-dire les morceaux de boucherie) peut varier notablement en fonction de la nourriture reçue par les animaux. En les contrôlant, il est possible de contribuer à un meilleur état sanitaire des consommateurs. Les conséquences (qualitatives et quantitatives) des modifications de la composition de l’alimentation animale sur la valeur des produits dérivés consommés par l’homme sont plus amples chez les mono-gastriques que chez les poly-gastriques. Car, par exemple, les bactéries intestinales hydrogénantes de ces derniers transforment en acides gras saturés une fraction notable des acides gras poly-insaturés présents dans leur alimentation, leur faisant par conséquent perdre leur intérêt biologique. Ainsi, dans les meilleures conditions, en nourrissant par exemple les animaux avec des graines de lin ou de colza, la teneur en acide alpha-linolénique est multipliée par environ 2 dans la viande de bœuf, par 6 dans celle de porc, par 10 dans le poulet, par 40 dans les œufs. En nourrissant les animaux avec des extraits de poissons ou d’algues (huiles), la quantité de DHA (acide cervonique, 22:6ω3) est multipliée par 2 dans la viande de bœuf, par 7 dans le poulet, par 6 dans les œufs, par 20 dans le poisson (saumon). Pour obtenir de tels résultats, il ne s’agit que de respecter la physiologie des animaux, ce qui était fréquemment le cas avec les méthodes traditionnelles. Il convient de mettre l’accent sur les poissons, dont la valeur nutritionnelle pour l’homme en termes de lipides (déterminée par la quantité d’acides gras oméga-3) peut varier considérablement selon la nature des graisses avec lesquelles les animaux sont alimentés. L’objectif de prévention de certains aspects des maladies cardio-vasculaires (et d’autres pathologies) peut être atteint ou au contraire contrarié selon la nature des acides gras présents dans la chair de poisson, conséquence directe de la nature des graisses avec lesquelles ils ont été nourris. Il en est de même pour les œufs, les œufs « oméga-3 » étant en fait voisins des œufs naturels \; point de valorisation considérable montrant leur intérêt : ils participent à la formulation de certains laits adaptés pour nourrissons, dont la composition est la plus proche de celle du lait de femme. Les glucides sont présents en quantités relativement faibles chez les animaux, sauf dans certains tissus, dans lesquels la teneur de glycogène n’est pas négligeable. De plus, les concentrations en glucides se modifient selon la qualité et la durée de la maturation après l’abattage, processus indispensable pour permettre de rendre la viande comestible. En tout état de cause, leur présence n’influe que sur les qualités organoleptiques, mais pas sur la valeur nutritionnelle glucidique. Bien que le muscle contienne des quantités importantes de protéines, leurs compositions, c’est-à-dire leurs profils en acides aminés, sont sous contrôle génétique. Pour une espèce donnée (et même une race), les modifications de l’alimentation des animaux peuvent induire des évolutions quantitatives au niveau des protéines, mais peu d’améliorations qualitatives. Une manipulation génétique susceptible d’enrichir en tel ou tel acide aminé indispensable est probablement illusoire, sauf pour le lait. Globalement, en ce qui concerne les mammifères, les oiseaux et les poissons, toutes inflexions importantes des minéraux et des vitamines dans la ration des animaux (par défaut ou par excès) peuvent perturber la physiologie des organes, et par conséquent les performances zootechniques, ce qui relève de l’examen vétérinaire \; exception faite de certaines vitamines lipo-solubles, en particulier de la vitamine E, et, dans une moindre mesure de la vitamine D. Les faibles variations susceptibles d’être éventuellement obtenues ne permettraient toutefois pas de participer significativement à l’amélioration de la couverture de besoins nutritionnels de l’homme. Les produits tripiers font exception, mais ils ne sont plus consommés que marginalement et ne peuvent concourir significativement à la couverture moyenne des besoins en nutriments de l’homme. Toutefois, concernant les poissons, de notables différences peuvent être observées selon les lieux de pêche et les saisons (entre autres), et, par voie de conséquence très probable, selon les élevages (pour les vitamines D et E, l’iode le fer et le sélénium). Pour les œufs, la composition varie beaucoup selon les formulations des aliments donnés aux poules pondeuses (principalement pour les vitamines A, D et E et plusieurs éléments, dont l’iode). Une nouvelle approche se dessine avec les micro-nutriments non indispensables pour l’homme trouvés dans les produits animaux destinés à la consommation humaine. Il s’agit, par exemple, des caroténoïdes liposolubles. Parmi ceux-ci, la lutéine et la zéaxanthine sont présentes dans le jaune de l’œuf, contribuant à sa coloration. Or, des travaux très récents montrent que ces molécules peuvent être quantitativement augmentées dans l’œuf par une alimentation appropriée des poules pondeuses. Point nouveau, la consommation d’œufs ainsi enrichis a permis d’accroître les concentrations des deux caroténoïdes dans le sang de volontaires humains, et par conséquent dans leur rétine. Par ailleurs, on sait que ces substances sont présentes dans l’œil, en particulier dans la rétine. Or, une augmentation de la prise alimentaire de lutéine et de zéaxanthine induit leur accroissement dans la rétine. D’autre part, il est bien connu que la cataracte comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge sont presque 2 fois moins fréquentes chez les sujets dont la teneur de ces substances est grande dans le sang, par rapport à ceux dont la teneur est basse. D’autres molécules peuvent être impliquées : les CLA, dont les intérêts sont multiples, en particulier avec leur effet d’augmentation de la masse maigre et de diminution de la masse grasse \; et même peut-être une nouvelle « vitamine » décrite récemment comme telle, la vitamine PQQ (pirroloquinoline quinone), qui relèverait du groupe des vitamines B. Quelle est l’incidence sur les prix payés par les consommateurs ? En fait, pour les acides gras oméga-3, le surcoût reste modeste par rapport au gain considérable de valeur nutritionnelle : ainsi, l’augmentation de 5 % du prix de l’œuf se traduit par une multiplication par 10 de son contenu en acides gras oméga-3, et par conséquent divise par presque autant le prix du gramme d’acide gras oméga-3. Pour le poisson il devrait en être de même [2]. L’acide alpha-linolénique est trouvé de manière très privilégiée dans l’huile de colza, où il est le moins onéreux. Etant donné le déficit considérable des acides oméga-3 dans l’alimentation des Français (moins de 50 % de apports recommandés pour l’acide alpha-linolénique), il convient de promouvoir les aliments qui apportent, quotidiennement dans une ration alimentaire usuelle, plusieurs décigrammes d’acide alpha-linolénique et\\ou quelques centaines de milligrammes d’EPA + DHA, tout en respectant un rapport oméga-6\\oméga-3 proche de 5 et en minimisant les quantités d’acides gras saturés. En alimentation usuelles il s’agit des huiles de colza et de noix (et, dans une moindre mesure, d’huile de soja), des poisson gras \; et, à condition que la nourriture animale ait été correcte, des œufs et des poissons d’élevage.
Keywords