M@GM@ (Dec 2019)

Stranger signes... textes spectres pour auto-lecture ?

  • Isabelle-Rachel Casta

Journal volume & issue
Vol. 17, no. 3

Abstract

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Françoise Demougin se plaît à discerner, dans les premiers effets de lecture de tout texte, un « fantôme » de sens qui jamais, malgré les gloses et les éclaircissements ultérieurs, ne disparaîtra complètement. Il semblerait que ces « interprétations errantes » forment un nuage sémantique étrange, dérivant à l'écart des rationalités et fédérant une communauté in(divi)sible mais toute-puissante de signifiés orphelins. Aussi, lorsque Violaine Houdart-Mérot commente la formule de Danièle Sallenave, assimilant la littérature au « don des morts », elle thématise, d'une certaine façon, cette présence/absence des textes-fantômes en affirmant « (…) le sème d'héritage des morts est ébranlé et se double du sème de modernité : l’œuvre contemporaine (rejetée auparavant au nom du manque de recul) peut entrer dans le patrimoine. (…) cette fonction patrimoniale qui ne veut plus rien dire à force de vouloir tout dire ». Sème des morts, significations errantes, textes fantômes... autant d'indices concordants qui nous amènent à poser ici la question du dire fantôme, et par voie de conséquence les deux acceptions des termes : comment parler des fantômes, et comment aussi tenir un propos « enfantômé », actualisation d'un discours que nul ne se souvient d'avoir proféré. Quand Michel Leiris découvre que « Reusement !» veut simplement dire « heureusement »... Quand Simone de Beauvoir croit qu'Alain-Fournier a écrit : Le Grand Môle... Quand la future Colette se persuade que « presbytère » est un petit escargot…, et quand j'écris, enfant, « il posait déjà long », incapable même de concevoir qu'il puisse en aller autrement, il se crée un bref moment de texte fantôme, de signifiés erratiques qui ne trouveront aucun signifiant où se poser. Dans ses réflexions sur Andrée Chédid, Christiane Chaulet-Achour notait, il y a une quinzaine d'années, des éléments qui pourraient entrer tout vifs dans notre problématique : « Pour qu'il y ait renaissance, il faut qu'il y ait mort, et pour que cette renaissance soit porteuse d'avenir, il faut que cette mort celle celle d'un être de vie, de jeunesse, de promesse ». En redonnant aux âmes errantes un semblant de vie et de souvenir, il semble que ces textes « impossibles », et leurs lecteurs fugaces qui ne font que se lire eux-mêmes à travers lapsus et reconstructions, éveillent un halo sémantique spectral, dont les conditions d'émergence seraient la raison de cette étude.

Keywords