Revue de Primatologie (Jan 2016)
Un outil éthique, automatisé et totalement autonome pour étudier la cognition chez les primates
Abstract
Les avancées scientifiques sont de plus en plus liées au développement de nouvelles technologies. En neurosciences, les études comportementales apparaissent essentielles car elles permettent de mesurer la partie visible des processus cognitifs. Nous présentons ici un nouveau dispositif expérimental entièrement automatisé visant à étudier les performances cognitives de primates non humains vivant en groupes sociaux. Les paradigmes expérimentaux proposés aux singes sont directement dérivés des tests neuropsychologiques utilisés chez l’Homme et présentés via une interface tactile. Le protocole expérimental est basé sur un principe de conditionnement opérant permettant d’exclure toute déprivation hydrique et alimentaire ainsi que toute contrainte physique. Le module de test est disponible ad libitum. Il intègre un système automatique de reconnaissance des sujets permettant aux singes de venir travailler de manière totalement volontaire. Une particularité du programme que nous avons développé est l’implémentation d’un nouveau processus d’apprentissage totalement informatisé et autonome, ne nécessitant aucune intervention de l’expérimentateur tout au long de l’étude. Basé sur des algorithmes intelligents, ce dernier permet une variation en temps réel de la difficulté des tâches en fonction de l’évolution des performances individuelles. C’est ce point en particulier que l’étude visait à valider, ainsi que la capacité des singes à apprendre de manière totalement autonome et à performer sur différentes tâches cognitives proposées en parallèle sur un module de test en libre accès. Les tâches mises en place dans cette étude ciblent l’attention et le contrôle inhibiteur (5-Choice Serial Reaction Time), la mémoire visuelle à court terme (Delayed Matching to Sample) et la mémoire de travail (Self Order Spatial Search). L’étude a été réalisée sur un groupe social mixte de quatre macaques rhésus (Macaca mulatta). Dans un premier temps, cette étude a permis de valider les statuts fonctionnel et opérationnel du module ainsi que du nouveau programme. Les résultats ont permis de démontrer l’efficacité du dispositif expérimental pour étudier l’évolution des performances à long terme dans le cadre d’études intégrant plusieurs tâches cognitives distinctes réalisées en parallèle. On note un niveau de performance au moins aussi élevé que dans la littérature, dans le cadre d’études adoptant une approche plus classique sur des singes isolés. Il apparaît que les taux de réussite sont largement sensibles à la variation des paramètres de difficultés pour l’ensemble des tâches. Ces derniers résultats sont cohérents avec les données obtenues chez l’Homme et chez d’autres modèles animaux (rats, souris, poissons). Enfin, les sujets affichent des performances stables même après plusieurs mois de test. Dans un second temps, l’apprentissage autonome des tâches chez un sujet totalement naïf a été validé. Ce dernier a présenté des temps d’apprentissage particulièrement courts, permettant de souligner l’importance majeure d’optimiser les phases d’entrainement pour maximiser la qualité des données récoltées dans ce type d’approche. Nous pensons que ces résultats illustrent l’intérêt majeur que présente la mise en place d’un tel outil dans l’étude des processus sous-jacents aux différentes fonctions cognitives et aux multiples interactions présentes entre ces fonctions. Il résulte une augmentation de la quantité de données ainsi que de leur qualité, avec notamment l’affranchissement du facteur humain. De plus, cette démarche méthodologique est particulièrement en phase avec les nouveaux standards de l’expérimentation animale. En conclusion, l’utilisation de telles approches visant à automatiser les processus de test pourrait, à notre sens, permettre de nouvelles avancées dans les domaines de la cognition et des études translationnelles. De plus, la généralisation de ce type de design expérimentaux, à la fois éthiques et performants, devrait mettre en avant l’intérêt majeur du modèle non humain dans ce type de recherches.Je souhaite remercier l’ensemble de l’équipe enseignante de la licence « Concepteur Développeur en Environnement Distribué » de l’IUT Robert Schuman pour leur soutien dans le développement du programme ; le personnel technique du Centre de Primatologie de l’Université de Strasbourg et son directeur, Yves Larmet, pour leur implication au quotidien ; la plateforme « Silabe ADUEIS » pour la mise à disposition des locaux, des singes, ainsi que pour le financement du projet.
Keywords