Belphégor (Apr 2019)

Le Voyage aux Ruines de Paris : un topos érudit, fantaisiste et satirique dans la fiction d’anticipation aux XIXème et XXème siècles

  • Marianne Roussier

DOI
https://doi.org/10.4000/belphegor.1953
Journal volume & issue
Vol. 17, no. 1

Abstract

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On pourrait appeler « moment des ruines de Paris » le phénomène éditorial qui voit la publication entre 1855 et 1924 de récits de fiction de format variable, redevables à des auteurs d’inégale notoriété qui publient dans des conditions éditoriales très différentes, mais que réunit le recours à des intrigues très ressemblantes : dans un futur lointain la ville de Paris, à la suite d’une catastrophe qui reste hors-champ, est devenue un site archéologique que des explorateurs venus du futur vont redécouvrir. Ces œuvres d’imagination étagées sur plus d’un demi-siècle, de 1855 à 1924, réinvestissent un fonds imaginaire déjà largement construit et enrichi, saluant ici les ruines paysagères des peintres des Lumières, là les images esthétisantes des destructions de la Commune de Paris, et empruntent aussi à la littérature le modèle du voyage de découverte d’une cité perdue. Ainsi un cadre formel commun unifie ces récits de voyage aux ruines de Paris. Toutefois leur appartenance commune à un genre ou une catégorie littéraire qui serait celle du récit d’anticipation reste incertaine, désirée pourtant par le lecteur qui voudrait lire ces textes comme une collection unifiée par une même intention. La grande diversité des régimes d’écriture révèle la pression d’influences contradictoires. La petite presse, qui offre souvent un débouché éditorial, impose sa démarche satirique, par exemple à l’égard des prétentions de la science. Orientant l’écriture vers les pratiques citationnelles et ludiques, depuis la citation érudite jusqu’à l’allusion cryptée à l’actualité, elle encourage les effets de connivence et de miroir avec l’époque, ce que fait aussi le modèle du voyage philosophique qui s’accorde bien avec la gaieté cynique de la satire, mais moins bien avec les accents méditatifs et nostalgiques du voyage romantique aux ruines des cités antiques, comme retour aux origines et expérience de la perte. L’unité se fait peut-être en définitive dans la manifestation commune d’un attachement à une vision essentialiste d’un Paris éternel conservé par ses ruines, de la part d’auteurs souvent érudits qui se soucient moins de s’aventurer dans l’avenir que de figer dans son marbre sublime le patrimoine bâti parisien, et pour qui la menace n’est pas tant l’apocalypse future que les aménagements urbains qui détruisent aussi bien que la guerre la forme de leur ville.

Keywords