Oléagineux, Corps gras, Lipides (Nov 2001)

PROBLEMATIQUES GENERALES La libéralisation de la filière cacaoyère ivoirienne et les recompositions du marché mondial du cacao : vers la fin des « pays producteurs » et du marché international ?

  • Losch Bruno

DOI
https://doi.org/10.1051/ocl.2001.0566
Journal volume & issue
Vol. 8, no. 6
pp. 566 – 576

Abstract

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La Côte d’Ivoire occupe une place privilégiée dans le monde du cacao puisqu’elle a conquis le premier rang mondial sur le Ghana en 1977. Ce leadership s’est surtout accompagné d’une croissance exceptionnelle de la production qui atteint entre 40 et 45 % de l’offre mondiale depuis le milieu de la décennie 90 (de l’ordre de 1,2 million de tonnes) et presque 50 % des échanges. Cette situation assez exceptionnelle parmi les marchés des soft commodities explique que la Côte d’Ivoire soit l’objet d’une grande attention de la part des différents acteurs du marché. Ainsi le processus de libéralisation de la filière cacao au cours des années 90 et le démantèlement de la toute puissante caisse de stabilisation (la CSSPPA, appelée couramment la « Caisse » ou « Caistab ») en 1999, tout comme la volonté du gouvernement ivoirien de remettre en place aujourd’hui (juillet 2001) un mécanisme de stabilisation sont à l’origine d’abondants commentaires de la presse spécialisée et d’autant de réactions des différents protagonistes du monde du cacao. Ces changements ont eu en effet, ou auront, d’importantes conséquences sur les conditions d’écoulement de la production, sur les conditions de l’accès à l’offre ivoirienne ainsi que sur la dynamique du marché international et l’évolution des prix. Simultanément, la place et le poids du secteur cacaoyer dans l’économie politique ivoirienne (à la fois dans les grands agrégats économiques et dans les positions de pouvoir des intérêts privés locaux) en ont fait un enjeu central des recompositions économiques et politiques de la dernière décennie. La grave crise politique de l’année 2000, qui a fait suite au premier coup d’État de l’histoire du pays (décembre 1999), n’est pas sans liens avec la libéralisation imposée de l’extérieur par les bailleurs de fonds multilatéraux [1, 2]. Et l’évolution de la filière cacao reste aujourd’hui un point central des négociations entre le gouvernement et les agences d’aide. Cette libéralisation de la filière ivoirienne, qui correspond à un ajustement tardif aux nouvelles modalités de fonctionnement de l’économie mondiale, s’est accompagnée d’une perte progressive de contrôle des acteurs publics et privés locaux et d’une perte d’influence sur le marché. Cette évolution est en apparence paradoxale du fait de la place occupée par le pays dans l’offre mondiale, mais aussi à cause de l’évolution structurelle de la filière qui a été caractérisée par le développement rapide des capacités industrielles de broyage (presque triplées depuis 1995). Avec un potentiel de 300 000 tonnes (et bientôt 350 000), la Côte d’Ivoire est en effet devenue le principal « broyeur à l’origine » du marché, c’est-à-dire un pays producteur assurant une première transformation de ses fèves alors que la plupart des autres pays ont dû limiter leurs ambitions industrielles du fait des handicaps du broyage sur les lieux de production. Ces différents phénomènes emboîtés - croissance de l’offre, croissance des broyages, libéralisation - ont bien évidemment fortement influencé la physionomie de la filière : arrivée de nouveaux agents, développement de nouvelles fonctions, apparition de nouveaux modes de coordination. La compréhension de ces changements, en regard des évolutions globales du marché et de ses acteurs, nécessite d’adopter une lecture historique permettant de replacer dans leur contexte les stratégies mises en œuvre par les différents agents publics et privés, nationaux, étrangers et internationaux; elle nécessite aussi de mobiliser des registres explicatifs qui relèvent aussi bien des enjeux internes propres à la Côte d’Ivoire que de ceux du marché mondial du cacao. Notre propos s’articulera en trois points. Nous rappellerons tout d’abord les conditions du développement de la filière ivoirienne, les raisons de sa forte croissance et les limites de son pouvoir de marché. Nous nous attacherons ensuite à l’analyse des stratégies mises en œuvre par les firmes nationales et étrangères à l’occasion de la libéralisation et plus particulièrement aux motifs et aux modalités des alliances nouées entre les différents types d’opérateurs, notamment en ce qui concerne le broyage. Nous examinerons enfin les nouvelles caractéristiques de la coordination entre les différents agents de la filière et leurs conséquences sur les conditions de l’approvisionnement en quantité et en qualité.