Revue de Primatologie (Mar 2015)
Etude de l’habitat des bonobos dans la forêt de Manzano (RDC) : d'une co-construction locale de savoirs botaniques à leur valorisation. Quels enjeux pour la diffusion régionale de ces savoirs hybrides ?
Abstract
Depuis 2012, un protocole pluridisciplinaire a été mis en place afin d’étudier les différents types d’habitat présents sur le site d’étude des bonobos dans la forêt de Manzano, un des sites de conservation communautaire de l’ONG Mbou Mon Tour situé dans le territoire de Bolobo en République Démocratique du Congo. Pour répondre aux objectifs scientifiques qui sont la description des espèces végétales présentes et la caractérisation des types de forêt, le protocole s’appuie notamment sur les connaissances locales des plantes et des forêts. En effet, les espèces végétales sont relevées par leur nom vernaculaire, un ou deux assistants scientifiques locaux sont chargés de leur reconnaissance et les catégories locales des types de forêt sont utilisées et adaptées. Ainsi, lors du recensement de la végétation, sur les 2530 arbres et lianes relevés, 80 % ont été recensés par leur nom vernaculaire, puis 78 % ont été identifiés à la famille, 77 % au genre et 73 % à l’espèce, appartenant à 108 genres et 55 familles. 7 % des individus relevés restent identifiés par leur seul nom vernaculaire. En se basant sur les catégories locales de forêt et sur l’analyse des relevés, 7 types de forêts ont pu être caractérisés. Il existe donc une forte influence des savoirs locaux sur les données scientifiques issues de cette étude. Une influence réciproque existe également puisque la mise en place de ce protocole a modifié certaines dénominations de plantes, certains critères de reconnaissance ont été introduits et des résultats scientifiques transmis, notamment les noms scientifiques des plantes. C’est donc un savoir hybride qui résulte de cette étude, co-construit entre scientifiques et assistants scientifiques locaux sur le terrain. Les résultats du protocole mis en place sont amenés à être valorisés scientifiquement, mais également localement amenant donc une réflexion sur les objectifs et les formes de valorisation. Ainsi, la publication d’un article scientifique de description botanique des espèces végétales et des types de forêt présents est indispensable pour servir de référence aux études ultérieures sur ce site d’étude de long terme et permettre la comparaison avec d’autres sites d’études. Cependant, un tel article, rédigé en anglais, sera d’une utilité relative localement, puisque difficilement transmissible et appropriable. En revanche, la production d’un document de référence sur les espèces végétales présentes et leur consommation par les bonobos est nécessaire pour la formation de guides touristiques sur les autres sites de conservation communautaire de l’ONG. Un tel document doit s’appuyer sur les résultats obtenus dans le cadre de notre étude, menée sur un seul site, mais soulève plusieurs aspects à prendre en compte pour sa production tels que la diversité des dénominations des plantes, la variabilité de leur spécificité d’habitat, de leurs usages locaux et de leur consommation par les bonobos. Il faut donc partir de ces résultats pour réfléchir à leur utilisation dans une étude comparative ainsi qu'à la forme de production adaptée aux objectifs de diffusion (liste, catalogue, parcours d’apprentissage). Il s’agit donc de considérer les connaissances hybrides construites autour de l’étude de l'habitat des bonobos et leur valorisation amenant une réflexion sur l’influence des savoirs scientifiques et des enjeux de leur diffusion, mais également sur le rôle et le statut de chacun des « porteurs de savoirs ».
Keywords