Iris (Feb 2024)
Un inexplicable effet d’imagination. L’imagination des mères et ses incidences sur les perceptions et le corps du fœtus
Abstract
Une erreur que la médecine a longtemps partagée est d’attribuer à une envie ou à un effet de l’imagination de la mère pendant la gestation, les difformités, excroissances ou taches qu’un enfant porte en naissant. L’imagination serait capable d’imprimer à la matière des modifications extérieures et aurait des incidences sur les perceptions et le développement sensoriel du fœtus. Revenant brièvement sur la généalogie et la postérité du topos, cet article se focalise sur les succès et réfutations du paradigme malebranchiste au xviiie siècle, au travers d’un corpus de textes de vulgarisation médicale où les débats opposent les partisans de l’imagination (imaginationistes) pour lesquels l’émotion altère les organes du fœtus et les détracteurs de cette thèse (anti-imaginationistes) qui n’y voient que préjugé. Les systèmes mécanistes avaient en commun de faire l’économie de l’âme pour expliquer la vie. Bien que chaque époque possède son système herméneutique de représentations et que la médecine — étroitement dépendante des conceptions philosophiques et morales de son temps — soit aussi une production culturelle, il n’est pas inintéressant néanmoins de s’interroger sur la fortune d’un motif et l’actualité scientifique de la question. Que perçoit le bébé in utero ? Ressent-il la douleur de sa mère ? Jusqu’où l’imaginaire et le vécu maternel peuvent-ils « marquer » le corps de l’enfant ? Éclairées par les technologies de l’imagerie fonctionnelle, des recherches récentes sur la vie embryonnaire reviennent sur le lien symbiotique des interactions mère-fœtus. Des convergences apparaissent entre ce xviiie siècle et notre xxie siècle. En aucun cas, on a voulu opposer les scientifiques d’aujourd’hui en prise solide avec le réel et leurs prédécesseurs en proie à l’imagination. La science, quelle que soit l’époque, se nourrit toujours d’imaginaire.