SHS Web of Conferences (Jul 2012)
Conditionnel et ultériorité dans le passé : de la subjectivité à l'objectivité
Abstract
Comment signifier, au niveau du verbe, qu’un procès B, est, dans le PASSÉ, ultérieur à un procès A ? Le français, comme beaucoup d’autres langues, notamment les autres idiomes romans, a développé, parallèlement à l’expression verbo-temporelle de l’ultériorité du PRÉSENT (viendra, va / doit venir), une expression verbo-temporelle de l’ultériorité du PASSÉ (viendrait / allait/ devait venir) : (1)Pierre me dit que Corinne viendra / va/ doit venir me voir. (2)Pierre m’a dit que Corinne viendrait / allait/ devait venir me voir. Dans les deux cas, l’ultériorité prend appui sur une énonciation, mais différemment : - l’ultériorité du PRÉSENT (1) s’organise déictiquement à partir du nunc de l’acte d’énonciation du locuteur-énonciateur. Le procès est posé dans le FUTUR. - l’ultériorité du PASSÉ (2) s’organise à partir du tunc d’un acte d’énonciation antérieur réalisé par un énonciateur secondaire – en (2) le dire de Corinne – et rapporté par le locuteur-énonciateur. C’est à partir de ce tunc que le procès est construit en ultériorité anaphoriquement, ce qui rend compte de ce qu’il puisse référer à un événement antérieur, contemporain ou postérieur au nunc. On a donc dans les deux cas une ultériorité subjective, déictique pour le futur, et anaphorique pour le conditionnel. La dissymétrie dans la symétrie ne s’arrête pas là : à la différence de l’ultériorité du PRÉSENT qui est toujours subjective, le français est parvenu à développer une ultériorité objective dans le PASSÉ à partir des formes verbo-temporelles subjectives de cette époque : conditionnel, allait / devait + inf. (et également à partir des formes de l’ultériorité du PRÉSENT, cf. le futur dit historique) : (3) L’été 43 chassa la petite famille de la maison aux toits d’ardoise. Beaucoup plus tard, les enfants regretteraient (allaient / devaient regretter) les cerisiers, les buissons drus où ils enfouissaient des cabanes. (...) (Chaix, Les Lauriers du lac de Constance, 1974) La communication analyse précisément par quel chemin de grammaticalisation une forme qui au départ signifie l’ultériorité subjective comme le conditionnel peut parvenir à entrer dans la production d’un énoncé dans lequel le procès apparaît bien comme ultérieur mais objectivement ; s’inscrit non dans la ramification de l’ultériorité mais dans l’unilinéarité du PASSÉ ; et implique non la suspension du jugement épistémique du locuteur (comme en (2), mais, par inférence, l’engagement dans la factualité, ce que teste son possible remplacement par un passé simple (regrettèrent).