Cahiers du MIMMOC ()

Stigmatisations tenaces. Figures du rebelle et de la « fausse » victime dans le Pérou d’après-guerre

  • Dorothée Delacroix

DOI
https://doi.org/10.4000/mimmoc.12193
Journal volume & issue
Vol. 30

Abstract

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Cet article analyse les jeux performatifs autour de la catégorie de victime du conflit armé interne péruvien. Sa construction idéalisée d’absolue extériorité aux groupes armés s’avère à la fois éthiquement rassurante, politiquement efficace, socialement maitrisable et compatible avec une politique de « réconciliation ». Pourtant, à travers l’ethnographie des tensions locales autour d’un lieu de mémoire apparaissent des figures de « vraies » et de « fausses » victimes, les unes sont dites innocentes, les autres coupables. Ainsi se fait jour l’hétérogénéité des mémoires andines en dehors des moments convenus de commémoration. Replacées dans la longue durée des rapports de domination, de classe et d’ethnicité, ces divisions persistent à construire une altérité du proche autant qu’elles jettent le trouble dans la catégorie de victime. À l’épreuve de son usage social, cette catégorie apparait tout aussi archétypique que celle du terroriste. Loin de l’idée d’un monde andin, la diversité en termes de situations et de représentations sociales dans ces zones rurales est mise en évidence. Un paradoxe apparait alors : la monstration du statut de victime, dont l’édification de monuments sert de support, est à la fois un moyen et une limite à l’action politique et à l’émancipation des paysans andins. En effet, ils aspirent à ne pas être réduits à une figure de victime passive, mais ils se servent de cette image sociale comme point de départ pour négocier leur place dans la société et leur rapport à une citoyenneté fragilisée par le conflit armé. Reste que le paysage catégoriel dichotomique à l’échelle nationale se retrouve aussi à l’échelle locale, notamment à travers des stigmatisations tenaces à l’encontre des supposés sympathisants du Sentier Lumineux.

Keywords