Criminocorpus (Oct 2014)
Aliénés et rebelles : Quérulence et protestation en milieu asilaire (1910-1959)
Abstract
Accoler les mots « aliénés et rebelles » peut déconcerter ou diviser selon ce que tout à chacun entend derrière l’idée de folie et de rébellion. En effet, alors que folie et maladie mentale sont associées au délire, à la démence ou à l’égarement, la rébellion s’unit à la révolte, aux attentes de revendications plurielles nourries par des actions conscientes.Les aliénés rebelles à la psychiatrie ont cependant été nombreux, plus encore à la 3e section de l’asile de Villejuif qui, en raison de sa spécificité, a été à partir de mars 1910 destinée à recevoir des « aliénés vicieux, difficiles et criminels » dans l’enceinte de l’asile de Villejuif.S'il semble a priori aisé de tracer les contours de l'aliéné criminel qui a « commis des crimes, assassinats, incendie, viol », la figure de l'aliéné difficile ou de l'aliéné vicieux est plus délicate à dessiner. En 1903, le Dr Henri Colin définit ainsi les aliénés vicieux, soit des individus qui « ont commis des délits, souvent aussi sont restés à la limite du code et parfois n’ont rien fait de répréhensible mais sont simplement insupportables dans les services ordinaires ». Seront ainsi internés à la 3e section des individus qui, difficiles ou criminels, auront fait l’objet d’expertise médico-légale. Mais, ces derniers, bien que reconnus irresponsables et relevant de l’asile et du soin et non de la sanction pénale, n’en seront pas moins des aliénés lucides. Dès lors, on ne s’étonnera pas que figurent parmi eux nombre de « rebelles » désireux de mettre un terme à leur internement. Fous et lucides ou difficiles et délirants, protestataires ou quérulents, nombre d’internés vont en effet protester contre leur internement. Protestations qui constitueront le premier pas vers la rébellion et qui seront suivies de refus, de menaces, de « conspiration » en vue d’évasion mais aussi et parfois de violences. Alors que les aliénistes qui observent ces internés difficiles et récalcitrants aux soins voient dans l’insubordination et les conduites « antisociales » de leurs patients une illustration de l’anormalité constitutionnelle dont ces derniers seraient tant les jouets que les acteurs.
Keywords