Recherches Germaniques (Dec 2013)
Une île au cœur de l’Europe ? Robinson d’Eduard Reinacher (1921)
Abstract
Cette contribution consacrée au court roman Robinson (1921) d’Eduard Reinacher (1892‑1968), auteur alsacien issu d’une génération de réprouvés, s’interroge sur l’expression spécifique du « colonial desire » dans une région située à la périphérie de centres que pouvaient représenter aussi bien Paris que Berlin. Cette région des marges est en souffrance en raison du contexte historique caractérisé par les incessants changements d’appartenance nationale, impliquant par la force des choses à la fois des phénomènes d‘acceptation et de rejet, voire un soupçon vis-à-vis de l’autre, du voisin. Ce constant va et vient, non seulement entre deux nationalités, mais aussi entre deux cultures et entre deux paysages littéraires, implique le malaise d’être soi au regard de l’autre et, de ce fait, provoque un isolement grandissant, surtout si l’on écrit dans la langue de l’ennemi. Or, à l’époque du Reichsland, l’Alsace fut le creuset d’un imaginaire où désir d’exotisme et fuite en direction d’ailleurs imaginés se mêlent pour donner naissance à une « exotéromanie îlienne » dont témoigne cette « robinsonnade » méconnue qui s’inscrit dans la plus pure tradition de l’Océanisme telle qu’elle s’est développée autour de 1900 au sein de l’espace germanophone comme ailleurs. L’île de Robinson est, à l’image de l’Alsace, entourée de deux massifs montagneux, sorte de refuge s’ouvrant sur la primordialité salvatrice. Ainsi, la régionalité se trouve aux prises avec l’universel par le biais de l’intertextualité de l’île de Robinson et, par là même, avec tous les exotismes îliens, l’Alsace se transformant en une région prototypique de ce qu’on peut considérer comme une « Région-monde ».