Appareil (Dec 2009)
Le secret de « Septembre » Dans La Mort de Danton de Büchner
Abstract
Une nouvelle lecture de La Mort de Danton de Büchner, en particulier d’un moment extraordinaire dans la pièce, permettrait d’y lire une conception de l’œuvre littéraire comme événement. La littérature est un lieu privilégié pour accueillir dans son expression des événements, à savoir une composition impersonnelle des sensations et des forces dont il faut analyser les rapports et l’animation. L’ontologie de l’événement de Gilles Deleuze et, plus précisément, sa tentative pour concevoir des nouvelles formes d’individuation, qui rompt avec l’unité substantielle du sujet dans la tradition métaphysique, nous offre la possibilité de pénétrer dans la présence de l’événement de Danton et de mettre en évidence les divers éléments qui le compose. En-deça du cadre formel de la structure narrative, de l’organisation de l’œuvre et de son ordre représentatif, le terme d’événement indique pour la littérature la nécessité de saisir les sensations et les forces corporelles qui agissent à l’intérieur de ce qui arrive, de tirer les sous-éléments qui s’articulent dans le mouvement d’écriture pour produire un fait social, un fait historique ou un fait personnel. Si le terme d’événement évoque l’intuition active que quelque chose arrive, a dû arriver ou va bientôt arriver dans la littérature, il ne faut pas se contenter de rapporter le récit ni d’induire son message, mais il est nécessaire de maintenir son attente et sa surprise, de soulever son éclat et son secret, d’accéder au mouvement et au bruissement de son espace vital. Isoler l’événement et rester dans sa propre durée serait assigner à la critique littéraire un cadre de recherche non formel, un cadre dont les contours se déplacent sans cesse et resteront toujours à découvrir. Vu de l’intérieur de son processus, l’événement est formé des composantes contingentes, nouvelles et imprévisibles dont les liens causals ne sont pas évidents. Et pourtant, l’existence même de l’événement dans la littérature doit être nécessaire. L’œuvre littéraire doit forcément acquérir une mesure qui associe les diverses composantes dans un ensemble indivisible, dans un ensemble unique de rigueur et d’exactitude. Que l’œuvre soit nécessaire, cette condition lui accorde la valeur déterminée d’une création qui « ne peut être autrement qu’elle n’est », telle est du moins la définition aristotélicienne de la nécessité (gr. Anankaion), le caractère obligatoire d’une création dont toutes les parties se tiennent et qui se dit en somme ne pouvoir être autre que telle. Suivant la perspective événementielle de la pièce de Büchner, nous nous proposerons de poser les conditions par lesquelles il serait possible de concilier l’aspect nécessaire et l’aspect contingent d’une œuvre littéraire. Mieux encore, il nous faudra introduire les notions de « nécessaire » et de « contingent » dans un mouvement de dépendance réciproque afin de se demander comment on peut accorder à l’œuvre une nécessité sans dominer sa construction contingente ? Ou bien, au contraire, comment il est envisageable d’accéder au déploiement complexe d’une œuvre sans qu’elle tombe dans un chaos absolu.
Keywords