Lien Social et Politiques (Jan 2019)
Entre examen individuel et gestion collective : ce que les injonctions à la productivité font à l’instruction des demandes d’asile
Abstract
Cet article s’intéresse à la question générale des conditions de la prise de décision en matière d’asile : comment l’objectif « d’accélération des procédures », ainsi que les critères d’efficacité et de productivité bureaucratiques influencent-ils la mise en oeuvre du droit d’asile ? À partir d’une enquête ethnographique au sein de l’administration de l’asile en Suisse, cet article analyse comment une « politique du chiffre » imprègne le travail d’instruction des demandes d’asile et se traduit concrètement dans les injonctions des cadres intermédiaires, dans leurs stratégies et priorités de traitement, ainsi que dans des instruments d’aide à la décision. Deux arguments principaux sont développés dans l’article. Premièrement, l’examen individuel des requêtes entre en tension avec une gestion collective de celles-ci : en effet, non seulement ce traitement individuel s’inscrit dans des logiques organisationnelles de gestion des « flux » migratoires — la conjoncture du nombre et de l’origine des demandeurs d’asile influençant les priorités et les stratégies de traitement — et d’industrialisation de la prise de décision, mais il se fait aussi toujours à l’aune de lignes directrices définies par l’institution. Cette analyse nous conduit à nous interroger sur la forme syllogistique des décisions. Celles-ci sont le plus souvent prises en référence aux normes secondaires d’application qui orientent la perception qu’ont les spécialistes asile des décisions possibles. Deuxièmement, l’article met en évidence le rôle que jouent les cadres intermédiaires dans la mise en oeuvre de l’action publique. Ces derniers disposent d’un pouvoir (discrétionnaire et normatif) dans l’orientation et l’encadrement des pratiques de mise en oeuvre de la politique d’asile.
Keywords