SHS Web of Conferences (Jul 2014)

Les observables

  • Bergounioux Gabriel,
  • Chevrot Jean-Pierre,
  • Dal Georgette,
  • Lahousse Karen

DOI
https://doi.org/10.1051/shsconf/20140801399
Journal volume & issue
Vol. 8
pp. 85 – 86

Abstract

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Dans les représentations du langage ont été distingués, d’une part, ce qui relève du domaine du sensible – visible comme le jeu des organes, les gestes ou les tracés des écritures, audible comme le signal sonore – et, d’autre part, ce qui, d’ordre psychique, échappe à une appréhension immédiate : l’intention et l’interprétation, la vérité, le sens. En Occident, des postulats religieux ou philosophiques ont ravalé le matériau visible, en tout premier lieu, le matériel sonore, au rang des nécessités contingentes qu’impose à l’esprit la finitude de notre organisme. La linguistique, en proposant une conception nouvelle, scientifique, des phénomènes, des opérations mentales au signal, a interrogé de façon nouvelle ce que doivent être les « observables ». Non réductibles désormais à ce qui tombe sous le(s) sens, ils provoquent une première série de questions : Les observables ont-ils une existence en dehors de la posture du chercheur ou de l’outillage dont il dispose ? L’introspection, l’exposition aux conduites des interlocuteurs, l’étude des textes et des enregistrements, l’instrumentation et le recours aux techniques de traitement automatique livrent-ils des phénomènes identiques à l’attention du linguiste ? Faut-il en conclure que l’observable serait réductible à ce que le savoir est à même d’anticiper des faits qu’il examine ? Homologuera-t-on des résultats comparables à chaque nouvelle extension de ce qui est observable ? Est-on à même d’en intégrer les conclusions dans des systèmes d’analyse qui ne varieraient pas ? La définition des observables a souvent été conçue à partir d’une approche immanentiste selon laquelle les faits seraient premiers, à la fois immédiats et irrécusables. En cela, ils pouvaient sembler faire coïncider la connaissance intuitive des locuteurs (par exemple le jugement de grammaticalité) et le savoir-faire du linguiste capable de déceler, au-delà de la linéarité des paroles, la régularité d’opérations morphosyntaxiques et la systématicité d’une grammaire, jusqu’à en déduire ce qui se présentait hier comme des recueils de prescriptions, une norme, et aujourd’hui comme des modélisations ou des propositions de formalisation. S’il n’est d’observables que par la confrontation d’une théorie à même d’en catégoriser les formes (Gestalt) avec un échantillon de ressources linguistiques, en quoi celles-ci sont-elles conditionnées par les techniques (l’écrit, le magnétophone, le sonagraphe, l’ordinateur, l’IRM…) ? En quoi dépendent-elles du type de données (collection de textes et manuscrits, corpus) qui les informent ? Quelles procédures sont requises afin de rendre les contenus accessibles à la description ? C’est en adoptant une démarche par inférence que la linguistique s’est constituée comme science en déplaçant le champ de l’observable, d’abord dans le comparatisme en substituant aux ressemblances entre les mots le principe d’une correspondance diachronique des produits phonétiques, ensuite dans le structuralisme en établissant l’existence d’un plan abstrait, opposant le système de relations entre formes à la diversité infinie de leur substance. Comment une conception cognitive est-elle amenée à conjecturer la présence de ce qui n’est pas observable ? De quelle façon peut-on fonder l’interprétation au-delà du jeu des figures de style ou des conditions pragmatiques de l’énonciation ? Comment déterminer la signification en tenant compte de ce qui demeure non observable, qu’il s’agisse de l’ironie ou des effets des systèmes sous- jacents ? Au cours de cette table ronde, la question des observables sera interrogée en partant d’une réflexion concernant les études qui se fondent sur l’inventaire empirique des données pour construire leurs analyses (statistique lexicale, Labphon, corpus-guided linguistics, sociolinguistique variationniste, linguistique cognitive…) et en allant jusqu’aux théories qui postulent l’existence de formalismes préalables dont les discours et les textes ratifieraient, par l’actualisation et la distribution de leurs occurrences, la pertinence épistémologique.