Argumentation et Analyse du Discours (Oct 2024)
Esprit critique et discours conspirationnistes : pour des vertus rhétoriques
Abstract
Le modèle rhétorique qui a émergé depuis quelques années invite à diversifier les réponses pédagogiques pour prendre en charge la formation à l’esprit critique, et notamment le traitement pédagogique des discours conspirationnistes. La rhétorique y est souvent définie, par les rhétoriciens eux-mêmes, comme un art neutre du discours persuasif, sensible aux normes d’efficacité, mais indépendant de la vérité et de la morale. Cependant, il est clair que la rhétorique n’a pas pour seul objectif de former des « habiles persuadeurs », sans aucune autre considération, puisqu’elle se présente dans le même temps comme une éducation plus large à la citoyenneté démocratique. Ces orateurs, formés par la technique rhétorique, ne sont pourtant jamais définis, dans la mesure où les rhétoriciens contemporains ont progressivement abandonné la réflexion normative sur les (bons) orateurs, qui était autrefois menée dans la tradition rhétorique. Les discours conspirationnistes, plus vivement que d’autres objets pédagogiques, impliquent pourtant, par leur désignation même, des normes et des valeurs qui les isolent d’autres catégories de discours, jugés plus acceptables ou moins dangereux pour la vie démocratique. Face à ce constat, cet article propose une reconceptualisation de la rhétorique qui explicite la dimension normative de son projet d’éducation. Définie comme une discipline – et non plus comme une technique neutre –, la rhétorique viserait aujourd’hui à former de (bons) orateurs et de (bonnes) oratrices, qui possèdent des dispositions à (bien) agir, à (bien) parler et à (bien) penser dans le contexte de la démocratie pluraliste contemporaine et de ses valeurs. Ces dispositions pourraient être nommées, dans le vocabulaire de l’éthique des vertus, « vertus rhétoriques » ou « vertus des orateurs et des oratrices ».
Keywords