Modern Languages Open (Nov 2019)
« Le funambule apatride ou la question du rythme chez Gherasim Luca »
Abstract
Gilles Deleuze et Félix Guattari ont désigné Gherasim Luca par les expressions, bien connues à présent, de « bègue du langage » ou d’« étranger dans sa propre langue ». Cela signifie aussi, dans la logique de la variation continue, que la langue poétique, dite mineure, procède d’une déterritorialisation incessante, autrement dit d’une « apatridie » permanente. Celle-ci serait double parce qu’elle fait coexister la langue poétique de Gherasim Luca et la langue ordinaire, et parce qu’elle distingue en même temps le déterritorialisant et le déterritorialisé qui interagissent, même si le premier conserve une puissance sans cesse en mouvement qui prend toujours le pas sur le dernier. De même, les livres de dialogue, les collages, les objets et les dessins de Gherasim Luca établissent un rapport entre le continu et le discontinu. Ainsi, la place de la poésie à côté des arts plastiques relève d’un questionnement autour du figural et du rôle du signifiant graphique dans le processus d’élaboration d’une « voie(x) silanxieuse ». Fondée sur l’alternance du blanc et des figures qui s’y impriment, mais aussi sur le refus des agencements poétiques préétablis, la question du rythme revient alors à se demander comment l’organisation formelle du poème dans l’espace typographique intervient dans la signification même du texte pour guider ou détourner l’interprétation du lecteur. Elle implique en outre une variation rythmique, puisque la poésie de Gherasim Luca s’inscrit hors des structures poétiques traditionnelles, ainsi qu’une régularité propre à la définition courante de la notion de rythme, ce qui fait du poète un funambule en équilibre précaire.