Recherches (Dec 2015)

L’échec de Caliban : rationalités et altérités dans le monde ibérique et latino-américain

  • Enrique Sanchez Albarracin

DOI
https://doi.org/10.4000/cher.3470
Journal volume & issue
Vol. 15
pp. 39 – 52

Abstract

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La rhétorique de la modernité paraissait avoir consolidé, de part et d’autre de l’Atlantique, le triomphe de Caliban, personnage mythique et contradictoire de la tempête de Shakespeare, interprété tantôt comme le symbole du matérialisme anglo-saxon et de l’homogénéisation culturelle, tantôt comme le porte-parole des peuples colonisés et périphériques. Il incarnait ainsi les deux faces d’une même pièce : d’un côté l’implacable pouvoir de la raison technique et marchande, de l’autre, la force irrésistible de l’utopie. Dans notre monde d’aujourd’hui, accéléré et fluctuant, l’incertitude et la complexité semblent avoir assombri l’horizon du progrès de telle sorte qu’il n’existe plus de rationalités indiscutables et transmissibles, capables de tout embrasser, de restreindre la diversité naturelle et sociale dans l’enceinte sûre et intelligible des concepts ou des laboratoires et de prévoir, même à moyen terme, l’évolution des phénomènes qui nous entourent. Les modèles théoriques sont remis en causes et les pouvoirs, même démocratiques, perdent leur légitimité, tandis que des pressions insoutenables s’exercent sur les populations et leurs environnements, soumis à la dictature du temps et des marchés, aux inégalités culturelles et sociales, aux politiques de surveillance et d’austérité. L’histoire des peuples ibériques et latino-américains, dans leur rapport au monde occidental, est souvent gouvernée par les paradoxes et les ambivalences, les emprunts et les rejets successifs. Les changements planétaires survenus ces dernières années semblent confirmer ces tendances, tout en reversant aussi les perspectives. Tandis que la mondialisation bouleverse l’ordre centrifuge et vertical qui garantissait depuis des siècles la pérennité des transferts et le maintien des dépendances, on observe aujourd’hui des manifestations récurrentes de réappropriation (sémantique, épistémique, politique, économique, sociale et culturelle) des espaces collectifs réels et symboliques. C’est ainsi que les crises, tout en suscitant le repli, l’indignation et la résistance, semblent resignifier aussi les perspectives de l’être, du vivre ensemble et du possible, à travers des processus idéologiques de reconstruction autonome, de nouvelles formes d’actions politiques et des pratiques économiques et sociales innovantes. Interroger ces perspectives, à partir de la grille de lecture qu’offre le concept de crise dans l’espace ibérique et latino-américain, tel est l’objet de cette communication.

Keywords